L’église Sainte-Marie n’a pas tardé à se remplir ce Jeudi Saint. Dès les premières notes de l’entrée solennelle, les fidèles s’étaient déjà installés, remplissant presque chaque banc, dans une atmosphère recueillie, marquée par la gravité lumineuse de cette première soirée du Triduum pascal. Beaucoup sont venus, conscients que ce Jeudi-là n’est pas un jour comme les autres. On entre dans le mystère, doucement, en silence.
Le Jeudi Saint, c’est le seuil. Une porte que l’on pousse pour entrer dans les trois jours les plus denses de la foi chrétienne. C’est aussi une mémoire vive, celle du dernier repas partagé, du pain rompu, du vin offert – et des gestes d’un Dieu à genoux. Car c’est cela, surtout, que l’on retient de cette célébration : ce Dieu qui lave les pieds de ses disciples, comme un serviteur. Comme un frère.
Dans le chœur de l’église, sobrement décoré pour laisser toute la place à la Parole et au geste, douze paroissiens se sont levés lorsque l'abbé François-Xavier Gindrat a ôté sa chasuble. Un par un, ils se sont assis, ont déchaussé leurs pieds, et se sont laissés toucher. Ce moment, si simple et si bouleversant, n’est jamais anodin. Il vient nous chercher là où nous sommes, dans notre humanité la plus concrète. On sent l’eau, tiède. On sent les mains qui s’abaissent. On devine, dans ce geste, un amour sans condition.
Il n’est pas question de spectacle. Il est question de don. Le lavement des pieds, c’est ce passage où le service devient sacrement. Et cette année encore, l’émotion traversait l’assemblée. Certains baissaient les yeux. D’autres, au contraire, regardaient longuement ce geste que le Christ a voulu poser avant de mourir. L’amour, disait-il, c’est cela : vous laver les pieds les uns aux autres. Non pas parce que vous en êtes dignes, mais parce que vous êtes mes frères.
Puis est venu le récit de l’Institution. Le pain rompu. Le calice levé. L’écho profond de ces mots prononcés à chaque messe, mais qui, ce soir-là, retrouvent toute leur source. « Faites cela en mémoire de moi ». On comprend alors que le souvenir est vivant. Il engage. Il transforme.
Après la communion, un autre geste a marqué la fin de la célébration : le dépouillement de l’autel. En silence, les linges ont été retirés, les fleurs enlevées, le tabernacle vidé. Le Christ part au jardin. L’église devient veilleuse. Elle attend.
Dans cette nuit du Jeudi Saint, il ne reste plus que l’essentiel : un appel à aimer, et à servir. Les pieds lavés, les cœurs un peu plus ouverts, les fidèles sont repartis dans le silence
Mais ce silence n’était pas vide. Il portait en lui une promesse. Celle d’une vie donnée jusqu’au bout, sans retour, sans conditions. En quittant l’église, chacun emportait ce geste humble et puissant, gravé dans la mémoire comme un chemin à suivre : se faire serviteur, aimer jusqu’à l’extrême.
Le Triduum s’ouvrait ainsi sous le signe du dépouillement et de la fidélité. En cette nuit qui conduit à la Croix, l’Église tout entière devenait une grande veilleuse, discrète mais tenace, gardant au creux de son cœur la lumière fragile de l’espérance. À Sainte-Marie, comme partout dans le monde, le mystère pascal s’était mis en marche.
Et déjà, dans le silence traversé d’une prière intime, l’aurore de Pâques semblait promettre, à voix basse, une victoire éclatante de l’Amour.
Céline Latscha