La cellule occupée par Elisha au Monastère orthodoxe St-Michel du Var / ldd

Confinée au Royaume

Elisha Joho Monnerat, femme de foi orthodoxe et peintre d'icônes, a vécu un temps de confinement très particulier...

Elisha Joho Monnerat, femme de foi orthodoxe et peintre d'icônes, a vécu un temps de confinement très particulier...

Partie à la mi-mars pour un bref séjour dans le sud de la France pour animer un stage de peinture d'icônes au Monastère orthodoxe Saint-Michel du Var, Elisha ne s'attendait certes pas à ne rentrer en Suisse qu'à la mi-mai. " Deux mois de retraite spirituelle, dont vingt-trois jours recluse ", précise d'emblée l'iconographe lausannoise à son retour de France. " J'ai l'impression que tout cela a été orchestré depuis là-haut ! "
Cette maman de trois enfants aura finalement cumulé, bien malgré, elle l'expérience du coronavirus, de la quarantaine en réclusion totale dans sa cellule, puis celle du confinement. " On m'a très bien soignée là-bas. Et, j'ai eu la grâce quotidienne de recevoir le Corps du Christ. Chaque jour, Mgr Martin venait m'apporter les Saints Dons sur le rebord de ma fenêtre. " Un geste qui a profondément touché cette amoureuse du Christ, bouleversée par ce Dieu humble et bienveillant, venant se donner dans un petit morceau de pain. " Il nous rejoint dans nos endroits les plus fermés... Je m'étais créée un petit autel pour prier dans ma chambre, mais je ne me précipitais pas pour communier. Je me mettais d'abord en prière jusqu'à ce que je sois vraiment prête à Le recevoir... une grâce indicible... "

La grâce du silence
Le silence, Elisha en a une certaine habitude : les retraites spirituelles, les temps de silence en peignant des icônes. " Mais cette fois, j'ai atteint une qualité de silence particulière. Jamais je ne m'étais retirée aussi longtemps et n'étais restée autant dans le silence. J'ai pu y descendre profondément, confie-t-elle dans un souffle, et réaliser à quel point notre monde est malade. Malade du regard. D'un regard trop souvent pétri d'indifférence, de mépris ou de banalité ; alors que là, je baignais dans une claire lumière. " Et, dans la grâce de ce silence tout habité de Lui, dans la clarté bénie qui tressaille en dedans, elle perçoit intensément l'unicité, l'altérité et la communion en tout et entre tous. " Nous sommes Un, tous bien distincts et tous reliés. "

Un Dieu oublié
Après deux mois de retraite au monastère, elle peut rentrer en Suisse. Un voyage ponctué de longues heures d'attente. " J'ai été frappée par l'omniprésence des panneaux publicitaires : " Achetez, vendez, consommez ! " Je quittais un univers de silence, de louange et de prière pour sombrer dans un monde de désolation... ", s'afflige-t-elle. A peine dehors, sur le chemin du retour au pays - avec cette étrange impression d'avoir au contraire laissé derrière elle sa véritable patrie ; celle du monde spirituel - Elisha a été frappée par le regard... fuyant des gens. Une sorte de vacuité fatiguée, comme inexistée. Contrairement au monde de l'icône où le regard est central et fondamental, souvent grave et dense. " Il nous envisage, profondément. Tandis que dans la vie courante, précise-t-elle, nous sommes souvent dévisagés, déshumanisés. "
Elisha s'attriste de l'indifférence des gens par rapport à Dieu. " Il est oublié. C'est bien pire que si on Le rejette ou qu'on est en colère contre Lui car alors Dieu appartient encore à notre système de pensée... Ce qui me fait penser aux propos d'Etty Hillesum, exterminée en 1943 à Auschwitz, concernant notre responsabilité à faire exister Dieu :

" Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi (...). Il m'apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous. (...) "

Merci et pardon
Pour Elisha, ces deux petits mots nous ouvrent à la conscience du moment présent qui nous est offert. " Quand on a vraiment pardonné, on peut alors remercier et constater, à travers la souffrance traversée, quelle liberté on a pu retrouver. Les marques des blessures deviennent ainsi des lignes de force. C'est quelque chose qui participe du grandir de l'être ". Enfin, elle regrette également cette manière d'opposer constamment les choses. " ou bien ceci, ou bien cela ; oui ou non. Alors que, la plupart du temps, nous sommes dans le et - et: une invitation à allier les choses. " Et de raconter qu'avec son mari et ses enfants, elle a vécu durant trois ans sur un voilier. " On n'a pas d'emprise sur le vent, mais on peut choisir le réglage des voiles et quel cap on va prendre. "
Au fil de son expérience de vie, de ses voyages, de sa quête intérieure et de son art de l'icône qui la ramène au Ciel en elle, Elisha a compris qu'il nous faut à chaque instant, choisir la Vie...

Laver les vitres autrement
" Lors de ces deux mois au monastère, j'ai pu goûter à ce que pourrait être le Royaume. Quelque chose d'une grande simplicité et d'un émerveillement indicible. Quand je quittais ma cellule, je priais, j'assistais aux offices et m'occupais du lieu. Il y avait des travaux de bûcheronnage et divers travaux ménagers. Ainsi, en lavant les vitres, je participais à laisser pénétrer la lumière... Pour que Ses rayons puissent entrer dans le monastère et le cœur de tous. Là-bas, le moindre geste était accompli avec conscience, gratitude et ferveur. Tout peut devenir prière. "

Alors, un confinement ? Oui, mais aux allures de liberté nouvelle. Une expérience mystique. Une invitation au silence. Pour ouvrir les oreilles et les yeux de nos cœurs. " Et, s'émerveille encore Elisha, pour entrevoir ce Royaume qui est déjà là... seule l'attention de notre cœur peut y être absente. "

Propos recueillis par Christiane Elmer

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