Désert, lieu de vie / flickr wonker

Temps de désert, temps de Dieu

Voici la lettre pastorale de Mgr Felix Gmür pour ce temps de Carême.

Voici la lettre pastorale de Mgr Felix Gmür pour ce temps de Carême.

Nous connaissons tous des expériences de désert. Par exemple, quand nous sommes totalement seuls. A l’extérieur, lors d’une randonnée ou d’une promenade, quand rien ne nous distrait, quand nous avons de l’espace pour laisser nos pensées vagabonder. Elles viennent d’elles-mêmes, agréables, parfois aussi désagréables et indésirables. A l’intérieur, pendant la période du coronavirus, certains d’entre nous ont vécu de douloureuses expériences de désert. Des soucis, des perspectives incertaines, des peurs, peut-être la solitude.

Des communautés telles que l’Eglise connaissent aussi des temps de désert. La consultation effectuée dans le cadre du processus synodal l’a montré une fois de plus. De nombreuses personnes ne se sentent pas entendues par l’Eglise-institution. Les femmes constatent qu’on les empêche, en de nombreux endroits, de laisser leurs charismes devenir bénédiction pour d’autres croyants. Certaines personnes, parce qu’elles vivent une forme de partenariat qui n’est pas reconnue par l’Eglise, se sentent exclues et abandonnées dans leur vie de foi. Des jeunes aussi ne se sentent pas partout pris au sérieux. A tout cela viennent s’ajouter les abus sexuels, qui continuent d’être révélés. Chaque agression est une catastrophe. Pour beaucoup, l’Eglise est un désert parce que, au lieu de leur faciliter la vie, elle la leur complique et dresse en plus des obstacles sur leur chemin.

Des chrétiennes et des chrétiens baptisés font avec l’Eglise des expériences de désert, oui, l’Eglise entière vit une traversée du désert.

Après son baptême, Jésus est aussi dans le désert. Il est totalement livré à lui-même et paraît mener un combat perdu d’avance. Car il est aussitôt confronté à des tentations. Le désert est un lieu de tentation et d’épreuve. C’est en même temps un lieu de proximité particulière avec Dieu. Souvenons-nous du peuple d’Israël qui a cheminé durant quarante ans dans le désert. Sans cesse, il a connu des crises violentes. Et malgré tout, Dieu n’a pas laissé tomber son peuple, même au cœur de la crise. Malgré tous les conflits, il a continué à bénir son peuple Israël. Le temps de la crise, le temps de désert, est aussi pour le peuple d’Israël un temps de proximité particulière avec Dieu. Temps de désert – temps de Dieu ?

Mais le temps de désert de Jésus est également un temps de Dieu. Car Jésus n’erre pas sans but dans le désert ; il y est conduit par l’Esprit. L’Esprit de Dieu agit en arrière-plan et lui permet de garder les idées claires. C’est nécessaire parce que le Mal, appelé ici le diable, voudrait déstabiliser Jésus. Le mot français diable vient du grec « diabolos », qui signifie littéralement celui qui perturbe, qui met la confusion. Les abus - dans le langage de l’Eglise, les « péchés » - commencent là où les relations sont perturbées. Dans le cas de Jésus, c’est la relation entre Dieu le Père et le Fils que le diable voudrait perturber. Dans notre vie, ce sont les relations interpersonnelles, la relation à la création et la relation entre l’être humain et Dieu. Nous savons tous, par expérience, que les relations ne sont pas toujours faciles et qu’elles demandent souvent qu’on y travaille. Là où les relations ne réussissent pas, il y a quelque chose qui cloche, quelque chose qui a été perturbé : c’est le désert.

Lorsque des chrétiennes et chrétiens baptisés ne se sentent pas chez eux dans l’Eglise-institution, lorsqu’en plus on leur fait du tort, l’Eglise pèche. Sa relation avec les gens n’est pas équilibrée. On est dans la confusion.

Un travail sur les relations doit être fait pour que, dans l’Eglise aussi, le temps de désert devienne de plus en plus temps de Dieu. Pour remettre d’aplomb la relation entre les personnes au sein de l’Eglise et celle de l’Eglise avec Dieu, le pape a appelé à un « chemin synodal ». C’est une marche à travers le désert, pour quitter les égarements et revenir sur le bon chemin.

Dans ce processus, il s’agit de bien regarder et de bien écouter, de sorte qu’on reconnaisse ensemble quelle confusion doit être éclaircie et où. Dans notre diocèse, les différents conseils et groupes, en collaboration avec des personnes intéressées, vont recueillir les nombreux avis et suggestions et proposer des pas concrets. Je profite de remercier ici tous ceux et celles qui s’investissent dans le processus synodal, qui ont participé aux consultations ou qui ont contribué aux consultations ou y ont contribué d’une quelconque manière. Il est fondamental pour nous tous d’établir et de vivre une culture synodale. Dans cette culture, l’Eglise ne tourne pas en rond sur elle-même. Au contraire, toute la vie de l’Eglise est orientée sur Jésus-Christ. Pour tout ce qu’on entreprend ou tout ce qu’on planifie dans les paroisses et les espaces pastoraux, on pourrait se demander : « Est-ce que cela servira véritablement à faire vivre la foi ? » Dans une culture synodale, on ne cherche pas d’abord les intérêts de personnes individuelles ou de groupes ; on cherche à répondre aux exigences de la foi, à offrir à tous une patrie religieuse et à ouvrir divers espaces pour que les gens puissent vivre des expériences avec Dieu.

Tout comme Jésus, nous sommes nous aussi exposés à des tentations. Souvent, la confusion se produit aussi subtilement dans de petites choses, dans ce qui paraît insignifiant. Même des initiatives bien intentionnées peuvent devenir sèches, sans vie, quand elles ne sont pas irriguées par la foi vécue. Ce n’est pas un hasard que le diable, quand il veut tenter Jésus, l’interpelle deux fois en lui disant : « Si tu es Fils de Dieu, … ». Il fait allusion au baptême de Jésus, qui a eu lieu juste avant le temps au désert. Fils de Dieu, ‘est ainsi que Jésus est nommé par Dieu le Père lors de son baptême. Le diable déforme, par ses tentations, ce qui s’est passé au baptême. Il tente de fausser la relation entre Jésus et le Père. Pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à citer la bible et à instrumentaliser la parole de Dieu. Cette forme d’instrumentalisation existe aussi dans l’Eglise.

Pour contrecarrer ces différentes formes d’instrumentalisation de la foi, il faut un regard lucide et clairvoyant. Bien qu’il soit nécessaire d’aborder la fameuse question de l’enlisement des réformes, ça ne suffira pas pour que l’Eglise puisse se libérer de la crise. Le temps de désert devient temps de Dieu lorsque, dans le processus de renouvellement, les chrétiennes et les chrétiens baptisés témoignent de leur foi en dehors des murs de l’Eglise et qu’ils en vivent. Nous sommes tous appelés à une gestion de crises dans différents domaines. Nous recevons la dignité, la responsabilité et la force de le faire, par le baptême. L’Esprit-Saint ne conduit pas que Jésus à travers le désert. L’Esprit est accordé à tous les baptisés.

Nous sommes en carême, temps de méditation et de conversion. Le temps de désert de l’Eglise va, lui, durer bien plus de quarante jours. Faire partie de cette Eglise est actuellement pour beaucoup un grand défi, parfois même une épreuve. Nous pouvons espérer que l’épreuve devienne plus supportable, si nous nous rappelons sans cesse que, comme pour Jésus, Dieu nous accompagne nous aussi dans notre temps de désert. Son Esprit agit et nous transforme justement dans la crise. Le temps de désert est temps de Dieu.

Avec mes bons vœux et ma bénédiction.

Felix Gmür, Evêque de Bâle

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