Amoris Laetitia: discernement et accompagnement

Le pape François publie "La joie de l'amour" à peine 6 mois après la fin des travaux du Synode sur la Famille. Son titre: "Amoris Laetitia", la Joie exultante de l'amour, donne déjà, à lui seul, une clé intéressante qui va ouvrir les différentes portes d'entrée. Mais, pour mieux accueillir ce document, il peut être fécond d'emprunter la porte du discernement.

Puisque l'Evangile est un trésor confié à l'Eglise pour le bien de tous, il importe qu'il puisse rejoindre chacun dans sa vie et sa situation réelles. Le discernement invitera le pasteur à prendre en compte les situations différentes vécues par les gens, les familles, les couples, sans généralisation. Les situations, ainsi que la manière de leur proposer une réponse, sont souvent complexes. "Le discernement exige que l'on ne donne pas pour acquis une formulation de la vérité ni les choix à accomplir." Il ne s'agit pas de "cataloguer ou d'enfermer dans des situations trop rigides sans laisser un espace à un discernement adéquat, personnel et pastoral" (AL, n. 298). Offrir donc un accompagnement à toutes les situations, y compris aux plus complexes, avec comme instance de discernement la Parole de Dieu, dans le but d'éclairer la réalité de chaque vie. Voilà qui exige une grande docilité à l'Esprit Saint en qui seul, "amour et vérité se rencontrent" parfaitement. Ainsi, le discernement pastoral pourra qualifier l'attitude de l'Eglise appelée à accompagner toutes les situations, faisant appel à la conscience des gens, qu'il s'agit d'éclairer, sans se substituer à elle. (cf AL, n. 37)

Autrement dit, l'accompagnement est senti comme une façon de faire quelques pas avec les autres sur leur chemin, en adoptant "une attitude savamment différenciée". Cette porte de l'accompagnement ouvre sur celle de l'inclusion et non de l'exclusion. L'inclusion suppose l'effort d'accepter la diversité, de dialoguer avec ceux qui pensent autrement, de favoriser la participation de ceux qui ont des aptitudes différentes. Le Pape François avait souligné, déjà dans ses catéchèses sur la famille, qu'"en famille, entre frères, on apprend la cohabitation humaine et comment coexister en société", et que d'expérience, dès "les premières années de notre vie, nous avons été dépendants des soins et de la bienveillance des autres." Parlant des personnes vivant dans des situations complexes, ''d'irrégularité'', le texte dira que "la logique de l'intégration est la clé de leur accompagnement pastoral... Ce sont des baptisés, ce sont des frères et sœurs, l'Esprit Saint déverse en eux des dons et ses charismes pour le bien de tous." (AL, n. 299).
En cette année où il a ouvert le Jubilé de la Miséricorde, le souci pastoral du Pape François est que les portes de nos vies et celles de l'Eglise restent toujours ouvertes pour que nous soyons "toujours disposés à comprendre, à pardonner, à accompagner, à espérer, et surtout à intégrer" (AL, n. 312). (Mgr Jean-Marie Lovey)

Commentaires de Mgr Jean-Marie Lovey
L'évêque de Sion, délégué de la Conférence des évêques suisses à l'Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques 2015, nous livre ici ses réactions.

Et les divorcés remariés ? Pour certains, l'accès à la communion des divorcés remariés serait le sommet de l'intégration. Mais le texte, à mes yeux, nous invite surtout à réfléchir sur ce qui fait que l'on est membre d'un corps, sur ce qu'est l'ecclésialité, sur notre participation et notre responsabilité. Le pape cite quelques éléments comme la catéchèse, la liturgie, mais il y a aussi beaucoup d'autres choses dans la diaconie par exemple. J'ai parfois l'impression que l'on reste bloqué devant la porte fermée de la communion sacramentelle, alors qu'il y a tant d'autres portes pour participer à la vie de l'Eglise. Il ne faut pas se focaliser sur l'eucharistie; la liturgie de la parole est, elle aussi, une forme de participation.

Et l'intégration ? Intégrer ne signifie pas nier la différence. Cela consiste à permettre à chacun d'avoir la place qui est la sienne. Dans le cœur de Dieu, il y a de la place pour tous. L'intégration ce n'est pas dire 'tout est égal, tout est relatif'. C'est déterminer le charisme que chacun peut mettre au service du corps ecclésial. Ce qui est assez neuf et formidable dans cette exhortation est cette absence de jugement, ce discernement patient et cette pastorale des petits pas.

Et les enfants ? Un long passage encourage fortement l'éducation sexuelle des enfants, vue comme un "défi", tout en souhaitant que celle-ci "préserve une saine pudeur", mettant en garde aussi contre l'invitation "à 'se protéger', en cherchant du 'sexe sûr'" qui transmet "une attitude négative quant à la finalité procréatrice naturelle de la sexualité, comme si un éventuel enfant était un ennemi dont il faut se protéger". L'exhortation livre de longs et beaux passages sur l'éducation des enfants dans la variété des situations et des contextes. Elle insiste sur la transmission des valeurs au sein de la famille, avec les dimensions éthique, religieuse et spirituelle. On pourrait dire que la préparation au mariage commence au berceau. Le pape propose aussi l'éducation sexuelle comme une éducation à la vie et à l'amour. (cath.ch-apic/mp)

Et les personnes homosexuelles ? Concernant l'attitude de l'Eglise vis-à-vis des homosexuels, le document pontifical est plus que prudent en réaffirmant simplement qu'ils doivent être accueillis "avec respect" et sans "discrimination", mettant surtout l'accent sur la difficulté, pour les familles, "d'avoir en leur sein des personnes manifestant une tendance homosexuelle". Sans surprise, le pape assure - en citant le synode - qu'il ne peut y avoir "des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille".
Pour Mgr Jean-Marie Lovey, ne pas reconnaître aux unions homosexuelles le statut de mariage ne signifie pas une exclusion. "C'est d'abord et avant tout défendre le mariage chrétien qui se réalise dans l'union exclusive, libre et définitive d'un homme et d'une femme, à l'image de l'union entre le Christ et l'Eglise. L'exhortation admet que d'autres formes d'unions peuvent aussi dire quelque chose de l'amour humain, mais cela ne correspond pas à l'idéal chrétien. Ceci dit, je pense que nous devons nous efforcer de trouver une place dans le corps ecclésial pour les personnes qui ont des tendances ou une orientation homosexuelle."

Au-delà de ces thèmes controversés...
Amoris Laetitia, est un document éminemment pastoral qui approfondit la vocation de la famille chrétienne, offrant une part belle à l'éducation des enfants. Dans deux chapitres sur "l'amour dans le mariage", le pape François prend des allures de conseiller conjugal et prodigue des conseils sages et concrets aux époux chrétiens. L'exhortation apostolique invite à approfondir la préparation au mariage et à accompagner les jeunes époux autant que ceux qui vivent un échec matrimonial. Les mariages civils et les cohabitations, par ailleurs, sont regardés avec plus de bienveillance, en particulier ceux qui ont atteint "une stabilité visible à travers un lien public".

Se méfier d'une lecture hâtive !
Au fil du document, le pape François cite les catéchèses sur la théologie du corps de Jean-Paul II ou encore, largement, saint Thomas d'Aquin, sainte Thérèse de Lisieux et même Martin Luther King. De façon plus inattendue, le pape évoque le film "Le Festin de Babette" pour expliquer le concept de gratuité. A n'en point douter, l'Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitia sera largement commentée dans les médias comme au sein de l'Eglise, et jaugée de manière différente selon les lecteurs. Mais dès le début, le pape François met en garde devant le risque d'une "lecture générale hâtive" de ce document. (cath.ch-apic/imedia/ami/bh)

Les éditions Saint Augustin, à St-Maurice, responsables de la diffusion en Suisse romande en livrent une première présentation résumée. Le nouveau document du pape ne modifie pas la doctrine de l'Église sur le mariage et la famille. Il vise plutôt à la "recontextualiser". L'exhortation "Amoris laetitia" est donc de nature essentiellement pastorale. Il s'agit d'inculturer les principes généraux de l'enseignement de l'Église sur ces sujets, pour qu'il puisse être compris et mis en pratique par chacun.

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