Emmanuel Samusure / Photo: Chr. Elmer

Entretiens: Dans l'ici et le maintenant

Depuis le début du mois de septembre 2015, Emmanuel Samusure fait partie du Groupe pastoral francophone de Bienne en tant qu'animateur pastoral. Rencontre avec un homme réaliste et chaleureux, demeuré Petit Frère de Jésus dans l'âme...

A la fin de l'année 2010, Emmanuel, tu repartais avec ta famille en Tanzanie pour y assumer la direction du Lycée Charles de Foucauld. Presque cinq ans ont passé depuis et... te revoici ! Quoi de neuf ?
En cinq ans, il se passe beaucoup de choses : les enfants grandissent et les adultes deviennent de plus en plus sages...Et bien, en cinq ans, moi aussi j'ai pris de l'âge !

Tanzanie... Suisse... Où sont tes racines ?
Mes racines ? Je suis né Africain noir, peut-être que je mourrai Suisse blanc... Il y a un proverbe swahili qui dit : " Là où tu habites, là même c'est ton chez toi ". C'est vraiment ce proverbe que j'applique dans ma vie. Quand je suis en Tanzanie, je vis comme les Tanzaniens; quand je suis en Suisse, j'essaie de vivre comme les Suisses. Je m'inscris dans l'ici et le maintenant. C'est là que se trouve ma réalité.

De 2011 à l'été 2015, tu étais en Tanzanie. Comment s'est déroulée cette étape de vie, pour toi et ta famille?
Au départ, ça nous a pris quelques mois pour faire connaissance avec nos partenaires du projet et avec les gens du village où l'école allait se construire. Il a fallu aussi se réadapter à la vie tanzanienne en général. Avec les membres de ma famille (Sandra, Jérémie, Guillaume et Sébastien), nous avons un avantage non négligeable qui nous aide à bien nous insérer au niveau personnel, familial et social : la connaissance du kiswahili, la langue du pays. Sur le plan personnel, pour bien mener le projet, j'ai dû suivre une formation éducative en France, à l'Université Blaise Pascal de Clermont Ferrand.

Sandra et toi avez trois fils et également une grande expérience professionnelle auprès des jeunes. Est-il plus facile d'être jeune en Tanzanie ou en Suisse ? Les défis qui attendent ces jeunes sont-ils les mêmes ?
Pour avoir vraiment une bonne réponse, c'est à nos fils qu'il faudrait poser cette question. Eux ont eu la chance de vivre les deux situations. Moi, je dirais ceci : leurs défis sont totalement différents, mais des deux côtés, ils ont des défis à surmonter. Les jeunes Tanzaniens doivent faire face au lourd fardeau de pauvreté matérielle de leur famille, qui doit lutter pour payer les frais de scolarité. Le soutien économique est leur défi majeur. Pour relever ce défi, la famille et les jeunes s'entraident pour se donner les chances d'un meilleur avenir. Là-bas, la plupart des jeunes sont motivés. Ils n'ont pas d'argent, mais ont souvent la motivation d'étudier et de se former. Ici, c'est le contraire.

Qu'en pensez-vous, Guillaume et Sébastien ?
Contrairement à la Suisse, la Tanzanie compte un pourcentage important d'enfants et de jeunes, par rapport à sa population. Les défis que les jeunes doivent affronter sont l'éducation et l'emploi. Grâce aux moyens de communication, spécialement l'accès facilité à internet, les jeunes Tanzaniens sont connectés au monde entier. Ils se font donc une image - même si elle est déformée - du mode de vie des jeunes Européens ou Américains. Pour la grande majorité des jeunes Tanzaniens, le bien-être matériel et l'accès aux technologies modernes est un rêve qu'ils espèrent atteindre en devenant adultes. C'est pourquoi ils ont besoin d'une éducation solide pour construire leur avenir.

Mais quelle est, selon vous, LA grande différence entre eux et les jeunes Suisses?
L'accès aux loisirs ! Ici, nous, les jeunes, on sort ensemble régulièrement, on fait du sport ou des voyages à l'étranger. En Tanzanie, par contre, quand les jeunes ne sont pas à l'école, on attend d'eux qu'ils participent aux travaux ménagers ou aux travaux des champs.

Revenons à toi, Emmanuel. Où en est, à présent, le Lycée Charles de Foucauld ?
Avec l'aide de notre Association Elimisha, fondée pour soutenir financièrement notre école, nous avons construit quatre classes, deux petits bureaux, une cuisine, des terrains de jeux et des toilettes. Tous ces bâtiments sont équipés de panneaux solaires pour la lumière. L'école a ouvert officiellement ses portes au mois de juillet de cette année, avec sept étudiants, mais d'autres continuent d'arriver. Pour l'instant, l'école n'est pas encore autonome. Elle vient de prendre son envol et a fortement besoin de notre soutien pendant cinq ans afin de pouvoir être totalement indépendante. Je remercie du fond du cœur l'Association Elimisha et toutes les personnes qui nous ont aidés et qui continuent de contribuer à ce projet. J'en profite aussi pour ajouter que le Lycée Charles de Foucauld, en Tanzanie, accueille très volontiers des volontaires, des jeunes enseignants pour des stages, ainsi que des enseignants retraités.

N'est-ce pas difficile de lâcher un projet après l'avoir autant porté ?
Lorsque nous sommes partis, notre mission était claire pour eux et pour nous : mettre sur pied cette école et ensuite s'effacer. Mais cela ne veut pas dire que nous avons abandonné le projet. Nous continuons. Et nous vous invitons à nous rejoindre pour soutenir ce projet d'éducation qui vient de voir le jour et qui répond à un besoin des jeunes Tanzaniens.

Pour Guillaume et Sébastien, les études se poursuivent à présent en Suisse. Ils ont dû quitter leurs amis, leur école... Cela demande une bonne faculté d'adaptation !
Etant issus de deux cultures et de continents différents (Afro-Suisse), il me semble légitime pour eux de connaître les deux pays ainsi que les familles respectives de leurs parents. Bien entendu, cela nécessite un effort d'adaptation aux deux cultures, mais c'est aussi une richesse culturelle et humaine pour eux. Quand ils quittent l'école et les amis tanzaniens, ils sont accueillis par l'école et les amis suisses. Et vice-versa.

Passer de la direction d'une école et de l'enseignement à une activité en pastorale, c'est tout de même bien différent !...
Je ne pense pas que les deux professions soient opposées. Pour moi, elles sont complémentaires car les deux sont en relation avec l'être humain. Le directeur d'une école ne s'occupe pas seulement de l'enseignement. L'interaction quotidienne avec les jeunes, les enseignants et les employés non enseignants, l'attention portée pour être à leur écoute, tout cela constitue des atouts, des expériences humaines, sur lesquels je m'appuierai dans le cadre de mon travail pastoral. Et puis, ce Lycée Charles de Foucauld est une école catholique romaine qui accueille cependant des élèves de toutes les confessions. Donc, ici, il y a beaucoup de matière à réflexion pastorale.

La spiritualité de Charles de Foucauld exerce-t-elle une influence sur ta manière d'être, sur ta façon de vivre ta foi ?
Oui. Absolument ! La spiritualité de Charles de Foucauld, ce petit Frère universel, donne une très grande importance à l'eucharistie. Son désir d'imiter la vie cachée de Jésus le conduit à innover de façon radicale dans l'apostolat, qui n'est dès lors plus conçu comme une stratégie, mais qui consiste à essayer d'être, dans sa vie quotidienne, un exemple de vie chrétienne. Cette imitation de la vie cachée de Jésus conduit Charles à développer toute une spiritualité personnelle, ainsi qu'une vision personnelle de l'apostolat. Alors que les missionnaires cherchaient traditionnellement à prêcher, à l'image de la vie publique de Jésus, Charles, au contraire, veut développer un apostolat dans le silence et la discrétion. A travers l'humilité, il recherche la dernière place, ne voulant pas se différencier des personnes avec qui il vit. Il mène une vie similaire à elles, travaillant pour gagner sa vie, refusant de manifester sa supériorité du fait de son statut de prêtre. C'est tout cela que j'essaie d'approfondir dans ma vie de foi ainsi que dans mon travail pastoral.

Dans quel état d'âme retrouves-tu la Communauté francophone de Bienne et tes activités en pastorale ?
Après m'être investi dans l'éducation des jeunes Tanzaniens pour qu'ils aient un futur meilleur à travers cette école, c'est dans un état d'âme paisible, serein, que je retrouve cette Communauté francophone de Bienne et environs. Au nom de ma famille (Sandra, Jérémie, Guillaume et Sébastien), je vous remercie infiniment de votre accueil très chaleureux.

As-tu des projets, des attentes, des rêves ?
Actuellement, je n'en ai pas. Il faut d'abord que je me réadapte, que je vive, que je sente et savoure les choses... La pastorale n'est pas de la spéculation ni de la métaphysique, c'est du concret. Peut-être dans le futur, j'aurai des rêves pastoraux... Pour l'instant, je dois m'insérer dans les projets existants et qui sont en cours de réalisation.

Propos recueillis par Christiane Elmer

Association Elimisha
Projet de construction du Lycée Charles de Foucauld en Tanzanie
2733 Pontenet
CCP 10-180105-5
Postfinance IBAN : CH49 0900 0000 1018 0105 5
BIC : POFICHBEXXX

Biographie express
Emmanuel Samusure naît en 1957 au Burundi. Depuis 27 ans il est l'époux de Sandra, une Jurassienne bilingue, assistante sociale. Le couple a trois fils: Jérémie (26 ans, médecin), Guillaume (21 ans) et Sébastien (18 ans). Entre ses 20 et ses 30 ans, Emmanuel rejoint la Congrégation des Petits Frères de Jésus. Durant ce temps, il poursuit sa formation théologique au séminaire au Cameroun, à l'Ecole de la Foi et à l'Université de Fribourg. C'est encore dans cette ville qu'il se diplôme ensuite dans l'enseignement du français langue étrangère.
Avec son épouse et d'autres personnes, il fonde et s'occupe quelques années d'un collège en Tanzanie. Il en assume la direction et y dispense des cours de français. En 2005, la famille Samusure est de retour en Suisse. Jusqu'en 2010, Emmanuel rejoint l'équipe pastorale francophone de Bienne. A la fin 2010, le couple et les deux fils cadets repartent en Tanzanie tandis que l'aîné reste en Suisse pour y terminer ses études de médecine.
Durant cinq ans, le couple Samusure reprend les rênes du Lycée Charles de Foucauld. Sandra, Emmanuel, Guillaume et Sébastien reviennent en Suisse et, le 1er septembre 2015, Emmanuel rejoint le Groupe pastoral francophone en tant qu'animateur pastoral et membre de l'Equipe pastorale francophone de Bienne.

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