L'abbé Pierre Bou Zeidan / ldd

Entretiens: L'islamisme, crise passagère de l'Islam ?

Vaste question à laquelle l'abbé libanais Pierre Bou Zeidan a tenté de répondre au cours d'une conférence qu'il a animée le 6 mai au Centre St-François de Delémont.

"Il n'y a pas un islam, mais des islams. Pratiqué par plus d'un milliard de croyants sur tous les continents, l'islam est pluriel. A l'image de ce qui se passe au Liban, le sujet est aussi sensible que complexe. Si au retour d'un voyage au Liban quelqu'un vous dit qu'il pense avoir tout compris, c'est qu'on lui a mal expliqué ".
Né au Liban en 1966, l'abbé Pierre Bou Zeidan sait de quoi il parle : pendant plus de huit ans, ce prêtre maronite (la plus grande communauté catholique au Proche-Orient) a animé une émission chrétienne hebdomadaire sur une chaîne de télévision musulmane. "Aujourd'hui, le 6 mai est une fête nationale en Syrie et au Liban : c'est la " Journée des Martyrs " qui commémore l'exécution - le 6 mai 1916 - d'une trentaine de militants de la liberté par le gouverneur ottoman Jamal Pacha, surnommé depuis " Al-Jazzar " (le Boucher). Près d'un siècle plus tard, le peuple syrien réclame la même liberté et craint la réincarnation de Jamal Pacha à travers Bachar Al-Assad. "

Est-ce le thème ou le charisme de l'abbé Pierre Bou Zeidan qui a attiré la foule, mercredi soir au Centre Saint-François à Delémont ? Quoi qu'il en soit, à la dernière minute, il a fallu ajouter des dizaines de chaises pour que les 120 personnes présentes puissent disposer d'une place assise. En guise d'introduction, Marie-Josèphe Lachat s'est dite ravie de voir autant de monde. La directrice du Centre Saint-François a rappelé que c'est en tant que responsable de la formation au Service du cheminement de la foi du Jura pastoral qu'elle avait convié son orateur : " J'ai contacté l'abbé Pierre Bou Zeidan en septembre 2014. Depuis, il y a eu les attentats de Charlie-Hebdo et de Copenhague. Pourtant, les responsables des différentes religions le disent de manière unanime : Dieu ne peut jamais être invoqué pour donner la mort ".

Question d'interprétation
L'abbé Bou Zeidan a évoqué les raisons qui divisent sunnites et chiites et la montée de l'extrémisme meurtrier pratiqué par les jihadistes d'Al Qaïda ou de l'Etat islamique qui a proclamé, fin juin 2014, l'instauration d'un califat sur les territoires irakiens et syriens qu'il contrôle. A entendre le curé de Moutier, l'islamisme aujourd'hui pose d'abord un problème aux musulmans : " La question de la violence de l'islam est une vraie question. Pour le comprendre, on peut citer l'écrivain tunisien Abdelwahab Meddeb - décédé l'an dernier - qui, dans une interview accordée au quotidien Libération, rappelle que le Coran n'est pas innocent. " Dans les versets 5 et surtout 29 de la sourate 9, surnommé " le verset de l'épée ", il est commandé de combattre tous ceux qui ne croient pas à " la religion vraie ". L'impératif qâtilû, que l'on traduit par " combattez ", utilise une forme verbale dont la racine qatala veut dire " tuer ". Le verset 5 est explicitement contre les païens et les idolâtres. Le verset 29, quant à lui, englobe dans ce combat les juifs et les chrétiens. C'est le verset fétiche de ceux qui ont établi la théorie de la guerre contre les judéo-croisés. " Abdelwahab Meddeb ajoutait encore : " l'islamisme est, certes, la maladie de l'islam, mais les germes sont dans le texte lui-même. " Il faut réformer l'islam " Il faut avoir de la lucidité et du courage pour voir que c'est l'état général de maladie du monde qui explique la naissance des monstres terroristes aux noms de l'Etat islamique, comme Boko Haram, El shebab, ou Al Qaida ".

Pour le Père Pierre, le monde islamique doit reconnaître cette connivence avec une telle violence sans chercher d'excuses : " Si le monde musulman ne veut plus être montré du doigt comme l'homme malade de la civilisation globale, et si en Europe, les musulmans ont raison de s'insurger contre leur désignation comme boucs émissaires de toutes les difficultés sociétales en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni, il leur faut surtout se mobiliser en passant du réflexe de l'autodéfense à la responsabilité et à l'autocritique, en commençant par reprendre en main sérieusement l'éducation de tous leurs enfants à la tolérance et à la fraternité. " Le curé de Moutier se veut optimiste : " des réformes religieuses, politiques et sociales ont permis aux chrétiens d'avancer. Ils peuvent aider leurs frères musulmans à concilier modernité et religion, foi et raison ".

Pascal Tissier (SIC)

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