Chr. Elmer

La joie des anges

Des nœuds sur l'écheveau des jours. C'est ainsi que je me représente ce qui fait obstruction au pardon. "Pardon": un mot difficile, lourd, mal compris. Peut-on d'ailleurs comprendre ce qui s'incarne en nous pour nous hisser plus haut?

Le pardon, il en est souvent question. Des séminaires, des conférences, des livres, des émissions. Des définitions aussi. A l'emporte-pièce. C'est facile à dire, difficile à vivre et impossible à transmettre. Humainement parlant. Certes, on peut mettre en mots les nœuds de notre histoire. Raconter ce qui s'est passé, comment on l'a vécu et comment on y survit. On peut traduire ce nœud de douleur en injures ou en sanglots. En silences parfois. Mais on n'a pas de paroles pour expliquer la sortie du tombeau, le troisième jour. Humainement parlant.

Comment se fait-il qu'au fil du temps, sans y avoir oeuvré vraiment, le nœud se soit peu à peu distendu, démêlé, presque lissé? Et l'on se surprend même - une fois, plus tard, on ne peut jamais prévoir quand -, le cœur emmailloté dans une tristesse légère, à ne plus éprouver ni rage ni rancune. Reste l'ombre, tapie et pacifiée, de l'ancienne douleur. Non… ce n'est pas oublier. Ce n'est pas non plus faire comme si "ça n'avait jamais existé". Le pardon, c'est d'une autre nature. Pas uniquement une question de temps. C'est une réponse à l'Amour sur un chemin d'humilité.

Sans le secours du Ciel, pas de pardon possible. Le temps, à lui seul, ne suffit pas. Mais c'est là mon avis. Avec le temps tout s'en va. Léo Ferré le chantait. La colère, la haine et la virulence des souvenirs se tempèrent et s'estompent. Avec le temps, on peut devenir indifférents et ne plus en vouloir à qui nous a blessés. Mais, avec le temps seulement, on n'éprouve pas tout soudain compassion et tendresse pour l'ennemi ancien. Là, on est dans un autre registre. Divinement agissant. Sans l'Esprit-Saint, les nœuds résistent, se déforment même et grossissent. La trame de notre histoire s'en trouve méchamment endommagée. Chaque obstruction à l'Amour nous fait basculer dans le même désespoir, revisité et revivifié. Que l'on prend, à tort et par orgueil, pour un éclair de lucidité.

L'autre, c'est nous. Et l'on passe sa vie à creuser cette évidence, somme toute embarrassante. L'autre, c'est effectivement nous. Imparfait, faillible, cruel, lâche, faible, surprenant, merveilleux, généreux, doux. Comme nous. Apprivoiser la norme des nuances. Jamais tout à fait comme ceci. Jamais toujours comme cela. Jamais dans le durable, toujours dans le périssable et le perfectible. Nous sommes cet autre. Qui blesse, abandonne et trahit, hausse les épaules et porte le premier coup. Mais aussi celui qui croule et subit, seul dans sa désolation et irrémédiablement déçu. L'un ne va jamais sans l'autre. Serions-nous autre chose que des hommes? Non, sans doute. Pas sans le pardon, ce don de Dieu au cœur de notre humanité.

Trilogie du pardon

L'un des mérites que j'accorde à l'erreur, c'est de nous apprendre l'humilité. C'est sur ce terrain-là que Dieu sème ce qui ne pourra être dispersé à tous vents. Pardonner à l'autre, qui est comme nous. Me pardonner à moi-même, qui suis comme l'autre. Croire au Pardon qui nous réunit tous dans un incommensurable Amour. Difficile, la miséricorde envers ses propres erreurs? Oui, difficile. Pétrie de suffisance, de peurs blafardes face à tant de Lumière. Oh, apprends-nous, Seigneur, encore et toujours, l'humilité, la nuance et l'émerveillement du simple. Aide-nous à nous regarder avec Ta tendresse. A enlacer, au cœur de nos vies fatiguées et vieillies, le petit enfant blessé et blessant qui gémit en nous. Apprends-nous à rendre le pardon possible, parce que nous sommes cet autre sur lequel Ton soleil se lèvera aussi. Ce n'est que par ta Grâce que les nœuds se détendent et que nous pourrons reprendre le cours indolore des choses. C'est Toi qui libères le fil noué sur lequel on butait. Non, ce n'est pas le temps qui nous prend en pitié lorsqu'en nous tout crie vengeance. Le baume du temps qui passe n'est qu'un triste leurre. Toi seul viens habiter nos étranglements. Toi seul nous invites à déployer le pardon comme un grand linceul blanc un matin de lumière.

Christiane Elmer  

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