La réalité

En écrivant cette méditation, j'ai une pensée pour mon père. Quand j'étais ado, une de ses grandes préoccupations était le manque de sens des réalités de son aîné (de quatre enfants). Du ciel, il est certainement surpris de constater que c'est aujourd'hui une de mes priorités : qu'est-ce que je dois faire pour répondre au mieux aux attentes de la communauté ? Dans le contexte qui est le nôtre, autrement dit dans le cadre d'une paroisse complexe et quadrilingue.

Ce sens des réalités que mes collègues et collaborateurs/trices entendent à l'envie ne m'empêche surtout pas d'avoir aussi du plaisir à penser, largement je crois. C'est la raison pour laquelle la société actuelle me fascine. Rien n'est fixe, tout peut être remis en question. Et pour un théologien, parler de la foi à une époque de remise en question constante est un challenge que je relève volontiers, justement parce qu'il est une confrontation avec le réel.

Il existe entre la majorité des habitants d'Europe occidentale et l'Eglise un malentendu qui confine au tragique. Pour beaucoup de gens, la foi est un supplément d'âme. On l'a, tant mieux. On ne l'a pas, ce n'est pas grave. D'un côté, je crois que l'Eglise n'a pas su expliquer quel est l'enjeu fondamental de la foi. D'un autre côté, j'expérimente aussi que de nombreuses personnes ne veulent pas entendre car elles pensent qu'il s'agit de théorie. Mais justement, la foi n'est pas une question théorique. La foi - ceux et celles qui m'entendent en prédication ne seront pas surpris de le lire sous ma plume - est une question vitale. Pour moi, aujourd'hui, en observant la société qui m'entoure, elle est même LA question principale.

La foi, la confiance en Dieu est la mère de toutes les autres formes de foi, de confiance: en la vie, en l'avenir, aux autres... Et si on ne veut pas se flétrir complètement, on ne peut pas vivre sans confiance. Le problème entre la société actuelle et la confiance fondamentale, c'est que cette dernière ne se voit pas, ne se saisit pas. Vous êtes sûr d'être aimé ? Oui, parce que vous en voyez les signes. Mais au fond, vous ne connaissez jamais les intentions véritables de celui qui vous les montre. En réalité, nous croyons être aimés. Evidemment qu'une trahison est très douloureuse. Mais si on veut continuer à vivre de manière équilibrée, il faut réapprendre, à réapprendre quoi ? A faire confiance.

Je ne suis jamais sûr de rien, pas plus que je ne peux affirmer l'existence catégorique de Dieu. Mais l'essentiel n'est justement pas là. L'essentiel est que je vais établir un lien de confiance qui va me faire vivre. Et j'aimerais qu'on me dise ce qui est plus près de la réalité que ... la vie ! Bâtir une relation à Dieu n'est donc pas une question accessoire ; elle pose la question même de ma relation à la réalité à long terme. J'ajoute à long terme, car on peut se faire des illusions un temps. Quand on prend celui de rentrer en soi et de se poser des questions dérangeantes s'ouvrent un avenir et la liberté. Dieu est toujours dans le réel. Quand Jésus nous appelle à voir chacun comme lui-même, il nous interroge sur notre rapport aux autres. Quand il dit qu'il est le Chemin, la Vérité et la Vie, il ne se vante pas, il nous appelle à construire dans l'invisible une relation qui pose les fondements de notre confiance en la vie. Et comme il nous laisse toujours le choix de le suivre ou non, il nous rend libres.

Abbé Patrick Werth

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