Le vent en poupe

L'Evangile de ce dernier dimanche de juin nous invite à prendre le large. A oser la liberté, la vraie. Celle qui incite au départ, à la dépossession de soi, à l'abandon du passé, des habitudes et des certitudes. Une liberté toutefois exigeante, qui emprunte le chemin d'un certain inconfort...

Tout abandonner pour suivre le Christ. Certes. Mais nous ne sommes pas des saints et nous ne nous y risquerons pas. N'est-ce pas ? Nous passons pourtant notre vie à faire des choix. Et même quand on se laisse ballotter au gré des flots, on a posé le choix de l'indolence. Mais pourquoi, Seigneur, nous faut-il tout abandonner pour te suivre ? En chrétiens, nous acceptons de renoncer à un certain superflu, à une certaine superficialité. Mais pas à notre essentiel. On veut bien se limiter, mais sans s'appauvrir; faire des efforts, mais sans se reformater. Mieux aimer ? Pas n'importe qui, pas à n'importe quel prix ! Ressusciter ? Bien sûr, mais sans avoir à mourir.

Mais pourquoi dois-je me quitter pour suivre ton sillage et gagner l'autre rivage ? Pourquoi, même par Amour, devrais-je me faire violence ? Me faudrait-il renoncer au confort de moi-même pour t'acquiescer ? Est-ce uniquement au cœur de ce lent dépouillement et démantèlement de mon être que tu viens me combler et me signifier ? N'y aurait- pas, Seigneur, d'autres voies qui feraient moins mal, creuseraient moins de vide, extirperaient moins d'habitudes, dérouteraient et dénatureraient moins ?
Moi, j'ai mis des décennies à construire mon histoire, mes relations, mon travail, ma routine. Je n'ai pas envie de tout abandonner; même pour te suivre. Vois-tu, j'ai des liens, des nœuds dans mes cordages, un ancrage, un port, une vie, des raisons d'être ici et encore tant à y faire ...
Oui, mais... A quoi tiennent mes attaches ? A bien y réfléchir, à pas grand-chose. Tout est fragile et dérisoire. Tout se défait, fibre à fibre; tout finit par lâcher, céder et prendre la mer. Quand ce n'est pas l'amer...

Nous qui sommes libres de naviguer où bon nous semble, savons-nous seulement où nous voulons aller ? Moi, je le sais. J'aimerais me rendre là où il fait bon vivre. Où règnent paix, confiance et amour. Où l'on ne serait pas trahi, ni malmené, ni éconduit. Là où toujours on m'aimerait pour ce que je suis et non pour ce que l'on aimerait que je sois.
Montrez-moi cette terre de Ciel, à l'autre bout des eaux, et j'y ferai ma demeure ! C'est elle que je cherche, c'est là que je veux Vivre, délivrée du mourir. Tout abandonner pour suivre le Christ, c'est donc s'éteindre ? En quelque sorte. C'est s'éteindre de son vivant, toutes lumières allumées. C'est choisir de renoncer à ce à quoi l'on tenait le plus pour lui préférer ce à quoi on se sent intimement appelé. C'est se réapproprier sa vocation. On peut donc procéder à ce genre d'abandon de soi en restant physiquement là où l'on est, mais déjà projeté vers une sorte d'ailleurs, de par le cœur et l'esprit. L'ailleurs de la prière. L'ailleurs de la Communion. L'ailleurs de quand on souffre et qu'on se sent seul. L'ailleurs de qui a compris qu'au fond de son être, on n'est jamais seul.

Toi, Seigneur, tu nous demandes de t'aimer assez pour changer tout soudain de cap, prêts à toujours larguer nos amarres. Prêts à faire confiance aux vents, aux courants, aux marées. Tu nous invites à scruter l'horizon sans regarder en arrière, à déployer nos mâts et nous découvrir libres, défaits des vieilles entraves qui ligotaient la Joie. Quand serons-nous disposés à tout laisser pour te suivre ? Quand n'aurons-nous plus rien à perdre ? Et si c'était déjà maintenant ?

Aurions-nous quelque chose à perdre que nous n'ayons déjà perdu, ne l'ayant jamais vraiment possédé ?

Ce site web utilise des cookies. Par la navigation que vous y poursuivez, vous en acceptez l'utilisation et donnez votre consentement avec notre politique de protection des données.