L'expérience spirituelle aujourd'hui

La vie spirituelle peut élargir le quotidien en ouvrant de nouveaux chemins. Mais comment s'engager sur cette voie, aujourd'hui discréditée ? Et pourquoi pas en revenant aux sources de l'expérience intérieure ? En étant plus réceptifs à nos impressions et désirs profonds ? L'auteur de "L'expérience spirituelle aujourd'hui", Yvan Mudry, 57 ans, est journaliste, traducteur, et essayiste. Il a étudié la philosophie et la théologie à Rome et Fribourg. Il nous livre ici sa démarche.

Les gens recherchent le bonheur partout, mais ne le trouvent pas. Est-ce à partir de ce constat que vous avez décidé d'écrire votre livre ?
C'est un travail de longue haleine qui a été déclenché par une expérience personnelle; celle d'être un peu en décalage par rapport à mon environnement, de ne pas être tout à fait de plain-pied dans ma vie. A partir de là, je me suis mis en marche et j'ai lu de nombreux auteurs. Je me suis rendu compte que ce désir profond d'un quelque chose était largement diffus. C'est une aspiration gigantesque, une soif d'épanouissement que rien de matériel ne saurait étancher. Le meilleur relais à prendre est celui de la religion. C'est lui qui nous aide à creuser ce désir de bonheur fondamental.

Vous évoquez un sentiment aigu de manque, qui invite au pèlerinage intérieur, à la découverte de soi. Que se passe-t-il si l'on refuse de se mettre en route ?
Je crois que si l'on n'écoute pas cet appel, on va être porté à croire que la soif qu'on ressent, c'est simplement le désir de quelque chose qui s'achète. N'est-on pas dans une société où l'on nous vend le bonheur, où l'on nous dit: "Vous voulez être heureux ? Faites des vacances dans tel ou tel endroit !" Donc, si l'on n'est pas branché sur son aspiration profonde, on va très vite croire qu'il suffit juste de se procurer un objet ou de s'offrir une prestation pour être épanoui. Il y a là une forme de piège.

Beaucoup de gens prétendent aspirer à une autre vie, mais peu la recherchent en eux-mêmes...
Si on ne la recherche pas en soi, c'est parce qu'on vit dans une société qui opère une sorte de matraquage publicitaire. Comme je viens de le dire. Et puis, pour obtenir quoi que ce soit, on nous dit aussi qu'il faut travailler. Un accent fort est mis sur l'action. Même dans nos loisirs. On est tous devenus hyperactifs. On va entreprendre plein de choses, même en matière de thérapies. Et on croit, à tort, qu'on va assouvir ce désir profond en cumulant des activités. Or on s'aperçoit que ce qui nous rend heureux nous est simplement offert. Ce peut être la conscience de vivre des moments harmonieux, la joie d'une relation, la santé... Ce sont des cadeaux de la vie, qu'on ne peut pas acheter et qui ne s'obtiennent pas en se démenant.

Aurait-on peur d'aller puiser au fond de soi?
Comprendre que ce n'est ni par une action frénétique de ma part, ni en déboursant que je pourrai combler mon manque fondamental et me donner des chances d'être véritablement heureux, c'est... très déstabilisant ! Cela suppose qu'il faudra passer par une zone de turbulences... et ça fait peur ! Je pense à Blaise Pascal qui a dit que l'homme a peur de se retrouver seul dans une chambre car il va paniquer.

Où est notre patrie, où est l'endroit où l'on se sent "comme à la maison" ?
C'est important que cet endroit ne soit pas trop défini. Ce lieu de la maison, où l'on se sent bien, est différent pour chacun. Mais où se sent-on bien? C'est, par définition, là où l'on se sent en sécurité, en paix. Là où se tissent les relations avec les proches. La maison, la patrie, c'est là où il y a de la lumière et de la joie.

Une sorte de petit Royaume des cieux, en soi ?
Dans la tradition chrétienne, il y a un lien entre les moments de bonheur et le Paradis vers lequel on s'achemine. Dans notre ici-bas, dans notre quotidien, on expérimente une forme de paradis chaque fois qu'on fonctionne un peu différemment, dans un état proche de celui de la grâce; un état où, justement, on se sent "comme à la maison".

Nous sommes très responsables de notre bonheur...
Oui. Mais... et c'est là que c'est paradoxal, si je pense que je suis pleinement responsable de mon bonheur, je pense alors que ça ne dépend QUE de moi de le mériter par mes actes ou mes investissements. Selon moi, le chemin est un peu différent. Pour aller vers cette "maison des fêtes", il faut - à un moment donné - comprendre que ça ne dépend pas seulement de moi. Je peux bien ouvrir en grand les battants à la lumière; mais, en définitive, c'est le soleil qui vient. Ma part à moi, c'est de m'ouvrir suffisamment pour que le soleil puisse entrer. J'ai ma part de responsabilité, dans cette notion de bonheur, mais je suis aussi et surtout appelé à me laisser façonner, à oser la démaîtrise, l'abandon confiant. Ce chemin vers l'intériorité suppose une forme d'humilité; et là, les bonnes choses peuvent advenir.

Yvan Mudry - "L'expérience spirituelle aujourd'hui - De l'exil au grand large". Ed. St-Augustin

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