Renonce à toi-même !

Comment renoncer à soi-même et, ce faisant, s'aimer quand même ? Est-ce une invitation à s'oublier, se sacrifier totalement, estimer qu'on n'en vaut pas la peine ? Comment aimer les autres comme nous-mêmes s'il nous faut, justement, renoncer à nous ?

L'Evangile nous parle, nous bouscule. A certains moments de notre vie, tel ou tel passage biblique se fraie plus facilement un chemin. Il semble avoir été écrit... pour nous ! Oui, la Parole se lit mais, surtout, elle se VIT. Elle nous rejoint toujours là où nous sommes, au cœur poignant de notre réalité et de ses impasses douloureuses. Elle nous atteint souvent quand le fruit est mature et l'horizon mauvais.

" Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix, qu'il me suive. " (Mt 16,24)

Quête. Choix. Renoncement. Acceptation. A vous de jouer avec ces termes en leur donnant vos propres couleurs, en les écoutant résonner en vous. Cependant, quels que soient les mots considérés ou l'ordre dans lequel on les fait figurer, ils ont tous un avant-goût de salut. Ils nous concernent directement et renvoient à la liberté, à la délivrance. C'est ainsi qu'un matin, allez savoir pourquoi, ce " Renonce à toi-même " m'a saisie, pour ne plus me quitter. Une injonction troublante, exigeante, qui restera - je le sais - inachevée ici-bas. Mais c'est un appel qui vaut d'être considéré, interprété et incarné du mieux possible. Je veux bien m'y essayer, même si je ne suis pas sûre, Seigneur, de comprendre ce que Tu entends par-là et ce que Tu attends de moi.

Toi qui nous aimes à l'aune infinie du Ciel, Tu connais nos mesures étriquées, nos démesures intéressées. Et il est lassant de trépasser sa vie à écrire le brouillon de ce que cette vie pourrait être si, enfin, on osait la mettre au propre ! Aide-moi à réaliser peu à peu en moi ce renoncement à mes propres entraves. Aide-moi, presque détachée du passé et à peine rattachée à demain, à préférer l'accomplissement à l'abandon, la réalité à l'illusion, l'aspiration à la résignation, la paix au règlement de comptes, l'encre au crayon et le présent au conditionnel.

Chacun porte en soi un petit enfant rageur qui tape furieusement des pieds dans sa tête et dans son cœur, quand il est fortement contrarié ! Une fois qu'il a bien crié, bien hurlé et bien pleuré, faites-le taire, de grâce ! Que ses "Je veux ! Je n'en peux plus ! Je t'en veux ! Pourquoi ? Pourquoi moi ? Explique-toi !..." fassent silence.
On t'a fait mal, ancien petit enfant devenu presque vieux, et tu as, féroces en toi, des envies de vengeance et de réparation ? Renonce !
Tu grattes jusqu'au sang les plaies d'hier, appliqué - et pourquoi ? - à raviver le coup qui t'a blessé ? Renonce !
Il y a un temps pour vomir sa colère. Et il y a un temps pour cuver le vide qu'elle a engendré. C'est cela, se renoncer, petit enfant.

En ce début d'année où tout peut arriver, même le pire, même le meilleur, je comprends que renoncer à moi-même, c'est tenter de renoncer à tout ce qui ne me fait pas grandir, ne me rapproche pas de Toi, ne m'élève pas au-dessus de mes habitudes, de mes facilités, de mes lâchetés, de mes velléités. Renoncer à moi-même, c'est ne pas m'accrocher à cet ego, incontournable et nécessaire, bien sûr, mais combien intransigeant, combien tranchant, combien rancunier, combien obstiné, égocentrique et tyrannique !
Renoncer à moi-même, c'est Te faire de la place dans ma vie, Te faire asseoir, mon Aimé, au milieu extasié du meilleur de moi.

" ... qu'il se charge de sa croix, qu'il me suive."

Et, une fois délivrés de ce trop-plein de nous-mêmes où Tu n'es pas, Seigneur, nous pourrons Te suivre. Te suivre enfin, chargés de notre fardeau. Car si on Te suit l'âme légère, c'est bien avec l'acceptation, l'intégration de toutes nos blessures. C'est avec toutes les souffrances infligées et subies qu'on continue de faire route avec Toi. On a, pour cheminer encore, renoncé ou "renoncé" à la haine, à la rage, à la rancœur, à l'incision de la mémoire quand la vie a mordu trop fort. Désencombrés, on a progressivement lâché prise. Et, si l'on est parvenu à le faire, c'est parce que Tu étais là et qu'avec Toi, les douleurs en béances se sont peu à peu remplies de Lumière.

C'est donc ployant sous notre croix que nous acceptons d'emboîter Ton pas. C'est un poids dépouillé de nous-mêmes; juste lourd ce qu'il faut des douleurs qui furent. Et sans lesquelles, Seigneur, nous serions encore sous le joug de nos petites grandeurs, toutes imbues de ce qui n'est pas Toi.

Puisse cette année 2016, consacrée à la Miséricorde, nous aider toujours mieux à renoncer à nous-mêmes pour un plus d'Amour. Sans cesser de nous aimer ni d'aimer les autres. Bien au contraire.

Christiane Elmer

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