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Vous avez dit triste?

Spontanément n'associons-nous pas la foi - chrétienne en l'occurrence - à l'espérance que la vie a toujours le dernier mot? La foi, c'est-à-dire la confiance en Dieu que nous recevons gratuitement de Lui, ne nous appelle-t-elle pas à appréhender positivement ce que les circonstances de la vie nous imposent, même lorsque tout cela rime avec la solitude, la souffrance ou encore la mort? Que faire alors avec la tristesse que nous pouvons éprouver face à l'échec, la maladie ou le décès?

Il fut un temps où l'on opposait frontalement la foi et la tristesse, en condamnant fermement le sentiment de cette dernière. N'avons-nous pas parfois entendu le récit anecdotique d'une brave grand-maman, certainement très pieuse et pétrie de bonne volonté, qui venait de perdre son fils encore jeune d'une cruelle maladie? Elle s'adressa à son petit-fils encore enfant qui pleurait en ces termes: " Tu n'oses pas pleurer la mort de ton papa. Car si tu pleures, ça veut dire que tu ne crois pas que Dieu le ressuscitera!" Cette manière d'appréhender certainement d'abord et avant tout sa propre souffrance et son désarroi personnel face à un enfant en larmes est fort différente d'un souvenir qui m'est resté de mon enfance: la robe immaculée que portait la reine Fabiola de Belgique lors des funérailles de son mari, le roi Baudoin, décédé subitement quelques jours plus tôt. Le blanc comme signe d'espérance, de paix, de vie, malgré la tristesse bien légitime du deuil... Si la rigidité impassible avec laquelle nous nous comportions parfois jadis face au deuil et à la mort a laissé place souvent aujourd'hui à un sentimentalisme exacerbé - car une grande partie de notre époque fonctionne avec les seules émotions - la conjugaison de la foi en Dieu avec la tristesse de perdre un être cher se pose encore et toujours.

Les évangiles du 5e dimanche de Carême et du dimanche des Rameaux peuvent nous éclairer. Le premier nous rapporte le récit de la mort et du miracle de la résurrection de Lazare (Jean 11,1-45) tandis que le second nous explique la Passion du Christ (Matthieu 26,14-27,66). Saint Jean ne manque pas de remarquer que Jésus - lui-même! - "fut saisi d'émotion, il fut bouleversé" voyant Marie pleurer la mort de son frère Lazare. La traduction grecque suggère carrément une violente émotion éprouvée par le Christ. Le récit continue: "Jésus se mit à pleurer", puis encore: "Jésus, repris par l'émotion, arriva au tombeau". Le Fils de Dieu, puissance de vie par excellence, partage les larmes et la tristesse d'une famille, avant de ressusciter cet homme. Les larmes ne semblent pas empêcher l'efficacité de la parole du Fils! Au contraire, elles nous le rendent si proche de nous, alors que nous sommes si souvent confrontés à la séparation et aux questionnements.

Dans sa Passion, saint Matthieu n'omet pas de signaler la tristesse et l'angoisse du Christ, au seuil de sa violente mort: "Mon âme est triste à en mourir", dit Jésus aux Douze durant la Cène. Il ose même en faire part à Dieu le Père: "Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite!" durant la prière précédant son arrestation. Avant de mourir, il crie: "mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" Nous voilà au cœur des sentiments intimes éprouvés par Celui qui donne sa vie pour nous, qui sommes si fragiles. Le Vivant ainsi seul devant la mort qu'il terrasse, qui s'adresse une ultime fois à Dieu?
Affronter la mort, dans ce qu'elle a de plus insupportable et de plus cruel, la vaincre au matin de Pâques, signifie peut-être aussi la craindre. Les tourments du Christ face à la mort n'occultent pas sa Résurrection. Si cela était faux, l'Église n'existerait plus aujourd'hui! Entrons donc dans cette dernière étape de notre Carême avec sérénité face à nos sentiments et nos questions. Les Évangiles nous montrent un Jésus d'autant plus semblable à nous qu'il ose dire sa souffrance et son incompréhension face à la mort... Pour mieux la vaincre!

Abbé François-Xavier Gindrat

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